20 février 2012




Musée des Beaux arts de Lyon, 12h 35, 2e étage, aile B, banc peu confortable.

C'est en ces lieux que je viens chercher le peu de sérénité qu'il m'est permis d'obtenir. 12H35, migration pendulaire, pas un chat, pas le fait du hasard. Horaire ou ni les groupes scolaires comprenant leur lot de paresseux et d'infatigables bambins, ni les touristes attraient par le prix du ticket viennent troubler le silence divin et si rare qu'on y trouve.
Et pourtant, le lieu en lui même, murs épurés, lumières tamisées, et avant tout la disposition des tableaux ne semblent agir sur ma personne. C'est le Piton de la fournaise qui gronde en moi.
Le banc est au centre, j'y suis assise et personne ne le partage avec moi. Il faut dire qu'il est tout a fait inconfortable bien qu'il ait du cachet en apparence.
A ma gauche, 3 « Courbet », dont un représentant un vieillard, celui du centre. Vers l'âge de 7 ans, j'ai le souvenir d'être restée de très longs moments en compagnie de mon frère devant « L'Hallali du cerf » au musée de Besançon, ce tableau nous fascinait. Ici la magie du peintre n'agit plus.
Pour l'heure, ces 3 œuvres restent a leurs places, moins de 10 mètres nous séparent et j'aurais pourtant parié sur une bonne vingtaine, c'est a peine si le vieillard esquisse un regard en ma direction, il semble tout a fait résigné.
Peu a peu c'est l'atmosphère qui devient oppressante. Parce que les vagues de pèlerins sont accoudés a la cafétéria du premier, ils ne peuvent venir renouveler l'air. Sauté de veau en guise de plat du jour, c'est assez indigeste. Le café qui s'y prépare remettra tout le monde sur pied.
En tout et pour tout, 6 personnes ont défilées dans cette salle depuis près de 45 minutes, majoritairement des retraités, bossus, qui tentent en vain d'occuper leurs journées qui ne sont que trop longues. Beaucoup s'attardent sur le vieillard, il leur fait écho, certainement.
2 hommes, plutôt chic d'apparence, n'ayant pris le temps d'ôter leurs gants a moins que cela ne relève de l'esthétisme, sont venus contempler l’œuvre qui se trouve dans mon dos, je remarque qu'ils ont de grandes mains ce qui a un côté tout a fait sécurisant.
Je les ai sentis se rapprocher et lire par dessus mon épaule, puis se retirer par politesse. Je me suis retournée a mon tour, ils levaient tout deux les yeux au ciel, il faut dire que l’œuvre est immense, serviette de cuir sous le bras, étole Gentleman Farmer pour l'un, veste de tweed pour l'autre, chaussures cirées, lacées, de facture anglaise pour les deux, pas de doute. Nos regards se sont croisés l'espace d'une demi seconde, un regard qui sonne comme un clin d’œil «Je te comprends, tu me comprends», puis ils ont franchi le coche.
Je vis pour ces moments qui sont comme des pralines qui fondent en bouche, tendres calissons qui méritent d'être notés, soulignés, entourés. Ils sont capables de changer la couleur d'une journée sans passer par les dégradés.
Le parquet craque et j'aime ça, on peut en saisir des personnalités selon les démarches. Je m'attarde tout a fait devant l’œuvre en face de moi, la plus saisissante du musée a mon humble avis, « La lecture » de Henri Fantin-Latour.
2 femmes d'âge mur, chastement vêtue, couverte jusqu'au menton, de noir. Seul s'échappe les pans d'une chemise, une touche de clarté, la seule du tableau. Bien sur l'une fait la lecture a l'autre, qui la fixe. Une blonde et une brune. Mais probablement sœurs. Je n'ai jamais vu un regard qui en disait si long, on peut y lire le mot « rancune », lèvres très faiblement pincées, mains superposées, doigts noués, tout est dans la nuance d'une attitude. Certainement une histoire d'homme, d'adultère, de coucherie, il faut dire que ça fout bien souvent la merde. Les sentiments.
« La lecture » le titre est sobre et les sous entendus n'en sont que plus nombreux.
La blonde attends que la brune daigne relever la nuque, elle tapera alors violemment du poing sur la table, et lui demandera le pourquoi de quelque chose que nous ne pouvons qu'imaginer, nous autre, observateurs du 21 eme.
Peut être se mettra elle a hurler de rage et son chignon s'en verra défait, elle déboutonnera les 3 premiers boutons de son col, pas un de plus, afin de reprendre un peu d'air. Ouvrira la fenêtre puis se résignera a la fermer puis se rasseoir. Mœurs de l'époque. Ta gueule.
La lecture n'est qu'un prétexte, comme quand on vous souffle «oui» alors que c'est «non».
A droite du tableau, un bouquet de rose, quelques serviettes sagement pliées, des détails somme toute qui engrossent la supercherie alors que ce tableau pue la rage d'une femme.
Par ailleurs le cadre du tableau est nettement plus épais que celui de ces congénères, sans doute veut on contenir la bête qui gronde, éviter le scandale par tout les moyens. Depuis combien de temps cette femme se tait? Comme je la comprends. A la gauche de ce tableau, une madone, la vraie de vrai qui me regarde et m'implore. A sa droite, «Les amants» de Courbet. Blondie est tiraillée par l'appel divin et par celui de son cœur.
Je suis pour ma part incapable de rester impassible, tout déborde, aucune sérénité. Je me reconnais ni dans la blonde ni dans la brune. Ni dans la Madone. Même Hadès dans mon dos, semble me rire au nez. Il est temps de clore ce récit, déjà 2 asiatiques, pouces en l'air s'immortalisent devant le vieillard.

7 février 2012

La chute - Camus


"Désespérant de l'amour, et de la chasteté, je m'avisai enfin qu'il restait la débauche qui remplace très bien l'amour, fait taire les rires, ramène le silence, et surtout, confère l'immoralité. A un certain dégré d'ivresse lucide, couché, tard dans la nuit, entre deux filles, et vidé de tout désir, l'espoir n'est plus une torture, voyez-vous, la douleur de vivre est a jamais révolue."


" L'alcool et les femmes m'ont fourni, avouons-le, le seul soulagement dont je fusse digne. Je vous livre ce secret, cher ami, ne craignez pas d'en user. Vous verrez alors que la vraie débauche est libératriceparce qu'elle ne crée aucune obligation. On n'y possède que soi-même, elle reste donc l'occupation préférée des grands amoureux de leur propre personne. Elle est une jungle, sans avenir ni passé, sans promesse surtout, ni sanction immédiate. Les lieux ou elle s'exerce sont séparés du monde. On laisse en y entrant la crainte comme l'espérance. La conversation n'y est pas obligatoire; ce qu'on vient y chercher peut s'obtenir sans paroles, et souvent même, oui, sans argent. Ah! laissez-moi, je vous prie, rendre un hommage particulier aux femmes inconnues et oubliées qui m'ont aidé alors. Aujourd'hui encore, il se mêle au souvenir que j'ai gardé d'elles quelque chose qui ressemble a du respect."