|
Mains de Claudio Arrau |
|
par Alberto Garcia Alix |
"
"On sera comme tout le monde..." Elle disait cela pour calmer mes scrupules. Des projets. Je lui donnais raison. J'avais même honte de tant de mal qu'elle se donnait pour me conserver. Je l'aimais bien, sûrement, mais j'aimais encore mieux mon vice, cette envie de m'enfuir de partout, à la recherche de je ne sais quoi, par un sot orgueil sans doute, par conviction d'une espèce de supériorité.Je voulais éviter de la vexer, elle comprenait et devançait mon souci. J'ai fini, tellement qu'elle était gentille par lui avouer la manie qui me tracassait de foutre le camp de partout. Elle m'a écouté pendant des jours et des jours, à m'étaler et me raconter dégoûtamment, en train de me débattre parmi des fantasmes et les orgueils et elle n'en fut pas impatientée, bien au contraire. Elle essayait seulement de m'aider a vaincre cette vaine et niaise angoisse.Elle ne comprenait pas très bien ou je voulais en venir avec mes divagations, mais elle me donnait raison quand même contre les fantômes ou avec les fantômes, à mon choix. A force de douceur persuasive, sa bonté me devint familière et presque personnelle. Mais il me semblait que je commençais alors à tricher avec mon fameux destin, avec ma raison d'être comme je l'appelais, et je cessai dès lors brusquement de lui raconter tout ce que je pensais.Je retournais tout seul en moi-même, bien content d'être encore plus malheureux
qu'autrefois parce que j'avais rapporté dans ma solitude une nouvelle façon de détresse, et quelque chose qui ressemblait à du vrai sentiment.
Voyage au bout de la nuit, extrait, Ferdinand Bardamu a propos de Molly.